L’A340-300 MSN001 équipé d’une aile à profil laminaire expérimental a effectué son premier vol, le 26 septembre 2017, entre Tarbes et Toulouse. 150 heures de vol sont prévues dans le cadre du projet « Blade » labélisé Clean Sky.

 
L’A340 Flight Lab d’Airbus est le premier avion d’essai au monde à allier un profil de voilure laminaire transsonique à une véritable structure primaire interne. © H. Goussé / Airbus

Le prototype A340-300 doté d’une voilure singulière a décollé de l’aéroport de Tarbes, à 11h00, avec à son bord une dizaine d’occupants : des pilotes d’essais, des ingénieurs d’essais en vol et des ingénieurs d’essais. Lors des vols suivants, l’équipage sera réduit de moitié, mais pour ce premier vol, Airbus a préféré assurer.

Un laboratoire volant

C’est en effet un véritable saut dans l’inconnu qu’a accompli cet équipage quand, dans le cockpit où avaient pris place deux pilotes et un ingénieur, les manettes de gaz ont été poussées à fond. Même si les pilotes ont eu la possibilité de s’entrainer au simulateur de vol, pour ce premier vol, ils ont eu entre les mains un avion difficilement prévisible.

A l’intérieur de la cabine de l’A340-300 BLADE a été installé un poste spécialisé d’installations d’essais en vol (Flight Test Instrumentation ou FTI) complexe. © Gil Roy / Aerobuzz.fr

Comme cela est précisé en gros caractères de part et d’autre du fuselage et sur la dérive, ce quadriréacteur est, en effet, un laboratoire volant. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder son aile sur laquelle ont été greffés deux moignons d’une dizaine de mètres de long chacun. Outre le profil, cette prothèse présente une flèche de 20° contre 30° pour l’aile originale.

L’A340-300 Blade tracté sur l’aéroport de Tarbes. © D. Vicart / Airbus
Le revêtement de la partie supérieure de l’aile gauche, extrados, a été réalisé d’une seule pièce. © P. PIgeyre / Airbus
Alors que la flèche de la voilure de l’A340 est de 30° environ, celle de l’aile à profil laminaire est de 20°. © D. Vicart / Airbus

Nécessité d’aller voir

« Le seul moyen pour comprendre comment se comporte un profil laminaire naturel est de fabriquer un aile et de la faire voler », nous expliquait Thierry Fol, le responsable des Flight Lab d’Airbus, quand nous l’avons rencontré à Tarbes, à quelques jours de ce premier vol. Cela faisait déjà presque 16 mois qu’avec environ 70 spécialistes du programme A340 BLADE (Breakthrough Laminar Aircraft Demonstrator in Europe) il travaillait dans un hangar flambant neuf au montage des ailes ainsi qu’à l’installation de la multitude de capteurs en tous genres destinés aux expérimentations en vol.

Un projet Clean Sky emblématique

Le projet BLADE a été lancé en 2008, avec un budget propre de 180 M€, dans le cadre du vaste programme européen Clean Sky. L’objectif est de voir comment un profil laminaire naturel pourrait être exploiter en transport aérien. En réduisant de moitié le frottement de l’air sur l’extrados de l’aile, il est théoriquement possible de réduire la trainée de 4 à 5%.

L’A340-300 MSN001 surnommé “Flight Lab”, a décollé de l’aéroport de Tarbes à 11h00 et s’est posé sur le site Toulouse Blagnac d’Airbus, 3 heures et 38 minutes plus tard. © H. Goussé / Airbus

Avant d’envisager une rupture technologique, il convient d’optimiser l’existant. Et plus les ingénieurs se rapprochent du moment de basculement, plus les progrès sont ténus. La remotorisation des avions existants (programmes « neo » chez Airbus ou « Max » chez Boeing) offrent un gain d’environ 12 à 14%. Les winglets installés en bout d’ailes réduisent la trainée d’environ 3%. Le profil laminaire s’inscrit dans cette logique. Reste à démontrer sa faisabilité et son opérabilité.

A l’épreuve des faits

Les vélivoles vous le confirmeront, l’écoulement laminaire naturel implique un niveau de finition du revêtement de l’aile bien supérieur à ce que est admis pour un profil classique. Et pour être efficace, il doit rester vierge de toutes salissures tout au long du vol.

De part et d’autre de la voilure, le segment d’aile à profile laminaire naturel mesure environ 10 m de long. © Gil Roy / Aerobuzz.fr

Un soin extrême a été apporté à la conception et à la fabrication des deux portions d’ailes. Deux types de fabrication ont été retenus, l’un étant sensé avoir un meilleur rendement, mais étant très onéreux, l’autre plus classique, mais aussi plus perfectible. Les essais en vol vont permettre de les comparer.

De nombreuses expériences sont prévues au cours des 150 heures de vol d’essais programmées. Elles visent à étudier le rendement du profil laminaire dans différentes situations (moucherons, eau, vibrations, etc). Chaque vol doit permettre de recueillir jusqu’à 4 To de données qui seront ensuite analysées au sol par des équipes pluridisciplinaires d’ingénieurs et de chercheurs, appartenant aux différentes entreprises et laboratoires impliqués dans le programme BLADE.

Dans le cadre du programme Clean Sky, le projet Blade réunit aux côtés des grands noms de l’industrie aéronautique européenne des laboratoires de recherche et des start-up.© Gil Roy / Aerobuzz.fr

Ouverture du domaine de vol

Le premier vol du 26 septembre avait essentiellement pour objectif l’ouverture du domaine de vol. « Nous avons commencé par ouvrir le domaine de vol afin de vérifier que les qualités de vol de l’avion étaient correctes, » explique Philippe Seve, Ingénieur navigant d’essai à Airbus, qui se trouvait à bord du vol. « Nous avons atteint notre objectif qui était de voler au nombre de Mach de conception, à une altitude raisonnable, et de vérifier que tout se passait bien. Nous avons également vérifié que les d’installations d’essais en vol fonctionnaient comme prévu, afin d’identifier d’éventuelles mises au point pour les prochains vols. »

L’A340 Blade lors de son premier vol. © Airbus

Depuis 16 mois, qu’elles avaient pris possession du prototype de l’A340-300, les équipes s’étaient rapprochées inexorablement du bord du bassin. Elles se sont enfin jetées dans le grand bain.

Gil Roy

Source : Aerobuzz