Cerné par les enquêtes anticorruption, Airbus refuse d’invoquer la « loi de blocage », qui protège les entreprises françaises.

« Sans les mains !’ – Tom Enders , le PDG d’Airbus Group, a beau affirmer « Keep Calm and Carry On » dans sa lettre de remotivation des troupes de début octobre, la stratégie qu’il déploie pour faire face aux enquêtes du Serious Fraud Office (SFO) et du Parquet national financier (PNF) inquiète la présidence française, où le dossier est suivi directement par Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée. Et ce, alors que la presse commence à embrayer sur le dossier. Le tandem Enders-John Harrison, le General Counsel du groupe, campe sur sa position : ce n’est qu’en se conformant le plus strictement possible aux demandes du SFO et, au besoin, du Département américain de la justice (DoJ), que le groupe peut espérer négocier une amende réduite. Même si c’est au prix d’un transfert massif d’informations commerciales à Londres et à Washington.

Quitte ou double. Contrairement à ses homologues du CAC 40 visés par des enquêtes similaires, l’équipe juridique d’Airbus se refuse obstinément à faire appel à la loi dite « de blocage » pour se protéger. Cette disposition du 16 juillet 1980 régule les transferts d’informations économiques hexagonales hors du pays, afin de protéger les entreprises françaises de la curiosité des juridictions étrangères. La plupart des groupes tricolores condamnés par la justice américaine ces dernières années, tels Total, Technip et Alcatel, ont eu recours à cette disposition, ou l’ont brandi comme menace. Mais l’équipe juridique d’Airbus considère qu’invoquer la loi « de blocage » pourrait donner aux autorités judiciaires anglaises et américaines le sentiment que le groupe ne veut pas coopérer. Tétanisés, le quai d’Orsay et Bercy refusent de se saisir du dossier, arguant que le déclenchement de la loi « de blocage » ne peut intervenir sans une demande expresse d’Airbus. Le choix du groupe de s’affranchir des protections que lui offre la loi française est lourd de conséquence. Si le SFO impose à la société un surveillant en intégrité (Corporate Monitor) pour vérifier la bonne volonté de l’entreprise à se plier aux normes anti-corruption, Airbus sera privé de tout levier pour peser sur la désignation de ce surveillant. Technip, condamné aux Etats-Unis en 2010 pour des activités au Nigeria, ou Total, condamné en 2012 pour paiement de commissions en Iran, avaient pu imposer au DoJ d’être placé sous la coupe de surveillants français, notamment Jean-François Théodore. Chez Alcatel, c’est l’avocat Laurent Cohen-Tanugi qui a piloté les programmes imposés par la justice américaine. Les Corporate Monitor, qui ont accès à toutes les informations les plus sensibles, constituent en effet un risque majeur. Les sous-traitants sur lesquels ces surveillants s’appuient sont aussi déterminants. Après son amende en 2014, BNP Paribas s’était certes épaulé sur le spécialiste de ce type de procédure, l’avocat français Jean-Pierre Picca, mais la banque a dû prendre comme prestataire le cabinet américain Guidepost Solutions. Or le dossier BNP y est piloté par une ex-CIA, Rosemary Lark, qui reporte directement au Department of Financial Services (DFS) du procureur de New York.

Audits bienveillants

La stratégie de coopération choisie par Airbus oblige le groupe à procéder à des aménagements risqués. Ainsi, le dernier audit de conformité en date sur les contrats kazakhs, produit par August Debouzy, étonne largement les observateurs du dossier. Si ce rapport, qu’Intelligence Online a pu consulter, détaille tous les consultants mandatés par Airbus pour les contrats kazakhs, il s’avère nettement plus favorable et moins anxiogène pour le groupe aéronautique que les premiers audits de conformité, auxquels Intelligence Online a aussi pu jeter un œil. Ceux-ci étaient pourtant écrits par les propres spécialistes de la compliance d’Airbus !

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