Le directeur technique d’Airbus, ancien de Google nommé par Tom Enders pour bousculer la R&D du groupe européen, quitte l’avionneur après seulement 17 mois. Gros plan sur une greffe qui n’a jamais pris.


C’est un départ qui fait mauvais genre. Seulement 17 mois après sa nomination comme directeur technique du groupe (CTO, Chief Technical Officer), l’américain Paul Eremenko fait déjà ses valises. Comme révélé par la Tribune, cet ancien de Google et de la Darpa, l’agence de recherche avancée du Pentagone, quittera le groupe européen ces prochaines semaines. Suprême humiliation, il débarque au sein du géant américain UTC (Pratt & Whitney, ascenseurs Otis… ), un des plus gros sous-traitants d’Airbus, comme directeur technique. Un désaveu majeur pour le patron d’Airbus Tom Enders, grand artisan de l’embauche de Paul Eremenko en 2016, et qui en avait fait le pivot de la révolution R&D du groupe. Marc Fontaine, patron de la digitalisation du groupe, reprendra les fonctions d’Eremenko en attendant une solution définitive.

Pourquoi ce départ précipité ? A bien y regarder, la greffe n’a jamais pris entre la maison Airbus et le dirigeant de 36 ans. Celui-ci, dès son arrivée, veut révolutionner la machine R&D d’Airbus, au point de se heurter à certains barons du groupe, comme l’avait raconté Challenges en février dernier. « Il a créé des résistances partout dans la maison », résume Patrick de Percin, délégué CFE-CGC du groupe. Les relations sont explosives avec Charles Champion, grand patron des bureaux d’études toulousains, qui, faute d’obtenir le soutien de Tom Enders, décide finalement d’anticiper sa retraite. Un bras de fer est aussi engagé avec le patron d’Airbus Helicopters Guillaume Faury, suite à la volonté de Eremenko de récupérer le projet de taxi volant CityAirbus lancé par l’hélicoptériste. Faury sera l’un des rares à gagner son bras de fer avec l’Américain.

Isolement croissant

Car Eremenko n’hésite pas à faire arbitrer ses différends avec les cadres du groupe par Tom Enders lui-même. Lequel tranche quasi-systématiquement en la faveur de son protégé. Celui-ci se retrouve rapidement isolé, entre une gestion autoritaire et les effets du plan de restructuration Gemini, qui met la division CTO à feu et à sang, avec 400 postes supprimés sur 732 selon FO. « Paul Eremenko a un profil conflictuel, l’être humain ne l’intéresse pas, assène Patrick de Percin. Les 250 chercheurs du site de Suresnes, qui ferme définitivement mi-2018, n’ont pas eu droit à une seule visite. »

Quant au bilan technique d’Eremenko, il est difficile à établir. « Il a lancé une transformation ambitieuse de notre approche sur la recherche, la technologie et l’innovation avec, par exemple, plus d’innovations et de partenariats, l’introduction de nouvelles méthodes, de démonstrateurs et de centres d’innovations », estime Tom Enders, cité dans le communiqué du groupe. De fait, Eremenko a lancé beaucoup de chantiers, comme le projet de taxi volant Vahana, ou Voom, sorte de Uber des hélicoptères.

Beaucoup de chantiers, peu de résultats

Mais à bien y regarder, aucun des projets de l’ère Eremenko n’a encore vraiment abouti. « Jusqu’à présent nous avons vu de belles vidéos et brochures marketing mais concrètement où en est-on aujourd’hui ?, s’interroge le syndicat FO. L’annonce du partenariat avec Rolls-Royce et Siemens au sujet de l’E-Fan X [démonstrateur d’avion hybride] est une bonne chose mais pour le reste, quels sont les livrables relatifs à tous ces projets ? Quid de la feuille de route de cette nouvelle stratégie d’innovation qui a désarçonné une partie des managers, salariés et chercheurs traditionnels d’Airbus ? »

Un prototype de Vahana doit voler d’ici à la fin de l’année, mais Airbus a été devancé par les start-up allemandes Lilium et Volocopter, dont les engins sont testés en vol depuis plusieurs mois. Le projet Voom n’a été lancé qu’à Sao Paulo. Certes, Eremenko n’était là que depuis moins de 18 mois. Mais son rôle était justement d’accélérer les cycles d’innovation au sein du groupe, en y imposant une culture plus proche de celle des start-up. « Dans la destruction créatrice qui nous était promise, on a bien vu la destruction, pas vraiment la création », résume un syndicaliste.

Erreur de casting ?

Le choix de Paul Eremenko relève-t-il de l’erreur de casting ? Force est de constater que le manager américain n’est jamais resté en poste très longtemps : un an à la Darpa, un an chez Motorola, deux ans chez Google. De même, il est difficile d’identifier les projets qu’il a menés à bien. Le projet Ara de téléphone modulaire, sur lequel il travaillait chez Motorola puis Google, a été arrêté fin 2016. Et le projet 100 Year Starship, qu’il avait géré à la Darpa, avait été vertement critiqué par des parlementaires américains, pour un coût jugé excessif et un intérêt jugé limité.

Source : Challenges