challenges – de Vincent Lamigeon – le 20 septembre 2018

Dix petits mois et puis s’en va. Moins d’un an après avoir remplacé le légendaire John Leahy à la direction commerciale d’Airbus, Eric Schulz, transfuge du motoriste Rolls-Royce, a claqué la porte du groupe le 13 septembre. Son nom s’ajoute à une liste de départs déjà bien fournie depuis deux ans, entre entre Marwan Lahoud (stratégie), Fabrice Brégier (président avions commerciaux), Paul Eremenko (directeur R&D), Charles Champion (ingénierie) et bientôt le président exécutif Tom Enders et le directeur financier Harald Wilhelm.

Comment expliquer ce nouveau traumatisme ? Premier facteur : le nom d’Eric Schulz, lors de son entrée en fonction en novembre 2017, ne faisait déjà pas l’unanimité. Selon plusieurs sources concordantes, l’ancien de Rolls-Royce était surtout soutenu par Fabrice Brégier, déjà en partance. Tom Enders, lui, poussait plutôt Christian Scherer, le patron d’ATR… qui vient de reprendre le poste de directeur commercial après le départ d’Eric Schulz. L’arrivée de Schulz semble avoir également braqué plusieurs barons de l’équipe Leahy, qui poussaient également plutôt la candidature d’un Scherer qu’ils connaissaient bien, et ne semblent avoir fait aucun cadeau à leur éphémère directeur commercial.

Un deuxième facteur, essentiel, explique le départ du VRP d’Airbus : le système de gouvernance mis en place dans le cadre du plan de réorganisation Gemini. Selon cette organisation un rien baroque, Eric Schulz, directeur des ventes des avions commerciaux d’Airbus, ne reportait pas au patron des avions commerciaux Guillaume Faury, mais directement au patron du groupe Tom Enders. Un vieux souvenir de la guerre Enders-Brégier, durant laquelle le premier avait retiré la responsabilité commerciale au second en espérant le voir partir. Eric Schulz s’est ainsi retrouvé coincé entre un Enders auquel il reportait, mais qui ne l’avait pas choisi, et un Guillaume Faury auquel il ne reportait pas, alors qu’il était théoriquement son supérieur hiérarchique. D’où de la friture sur la ligne entre Faury et Schulz.

Le directeur commercial d’Airbus a enfin dû affronter un contexte difficile. D’un côté, un Boeing ultra-agressif sur les prix, et dominateur sur le segment des long-courriers. De l’autre, des équipes commerciales d’Airbus traumatisées par l’enquête du SFO britannique et du PNF français sur des soupçons de corruption. Les auditions de cadres par des cabinets, souvent américains, « les bœuf-carottes », comme on les surnomme en interne- et les départs de nombreux cadres, ressentis comme injustes par beaucoup, ont pourri l’ambiance au sein d’un groupe déjà déchiré par la guerre des chefs de 2017.

Christian Scherer, né en Allemagne mais de culture-franco-allemande, fin connaisseur de la maison, semble avoir le bon profil pour ramener un peu de sérénité au sein de l’équipe commerciale d’Airbus. L’avionneur européen en a bien besoin.