LES ECHOS – Par Bruno Trévidic – Publié le 19/09 à 18h00

Si elles sont appliquées, les menaces américaines de surtaxe à 100 % des exportations d’Airbus pourraient obliger les compagnies américaines à annuler leurs commandes. Avec le risque de représailles au moins équivalentes à l’encontre de Boeing en Europe.

Le différent sur les aides publiques à Airbus et Boeing pourrait dégénérer en guerre commerciale entre l’Europe et les Etats-Uni

Que se passerait-il si les compagnies aériennes américaines se retrouvaient tout à coup dans l’impossibilité d’acheter des Airbus ? Et si, en retour, les compagnies européennes ne pouvaient plus acheter de Boeing ? Pour les transporteurs américains, dont les commandes en cours auprès d’Airbus dépassent les 700 appareils, comme pour leurs homologues européens, qui totalisent 886 commandes chez Boeing, l’hypothèse serait un cauchemar absolu.

Des deux côtés de l’Atlantique, les compagnies n’auraient d’autre choix que de supprimer des dizaines de milliers de vols dans les mois et les années à venir, et de licencier des milliers de salariés, faute d’avions. Avec des conséquences en cascade chez tous les acteurs du transport aérien et de l’aéronautique. En comparaison, l’interdiction de vol des Boeing 737 MAX et toutes les autres crises du secteur passeraient pour une broutille.

  1. Le scénario du pire

Un tel scénario semble totalement insensé. C’est pourtant ce qui pourrait arriver si les autorités américaines mettent à exécution leur menace d’appliquer des surtaxes douanières aux Airbus et à des centaines d’autres produits européens. Ceci en représailles aux subventions illégales accordées par les Etats européens à Airbus. Washington en aurait parfaitement le droit.

A l’issue de quinze ans de procédure, l ‘Organisation mondiale du commerce (OMC) a en effet confirmé, en mai 2018, la persistance d’aides financières illégales à Airbus, ouvrant ainsi la voie à des mesures de rétorsions douanières américaines. A en croire le ministre américain du Commerce, Robert Lighthizer, Washington n’attend plus que la validation par l’OMC du montant du préjudice subi, d’ici au 30 septembre, pour imposer des taxes douanières sur un montant équivalent d’exportations européennes.

  1. Les Airbus taxés à 100 %

Le département du commerce, qui estime le préjudice à 11,2 milliards de dollars, a déjà publié avant l’été une liste des produits européens susceptibles de subir ces surtaxes douanières. Une liste très bigarrée, des vins et fromages aux avions en passant par les articles de luxe, les olives, le parmesan ou le whisky… Mais les produits civils d’Airbus seraient les plus lourdement frappés. Washington aurait en effet l’intention de taxer à 100 % les importations d’Airbus aux Etats-Unis, ce qui doublerait leur prix. « Cela reviendrait à contraindre les compagnies américaines à annuler leurs commandes », explique un proche du dossier. Mais cette surtaxation punitive concernerait aussi les éléments de fuselage d’A320 destinés à la chaîne d’assemblage de Mobile en Alabama.

  1. Le risque de l’escalade

En face, les Européens ne sont pas démunis. Les Etats-Unis aussi ont été condamnés par l’OMC pour des aides illégales à Boeing. Si Washington a quelques mois d’avance dans la procédure, l’Organisation mondiale du commerce devrait également confirmer dès le printemps prochain la possibilité pour les Européens d’imposer des surtaxes douanières aux exportations américaines, en compensation de ces aides illégales à Boeing. Pour un montant peut-être plus élevé… L’Union européenne estime en effet son préjudice à 12 milliards de dollars. Assez pour interdire le marché européen aux produits de Boeing, dans le pire des scénarios.

  1. La possibilité d’un accord

Mais pour l’heure, tous les responsables européens semblent encore espérer  un accord entre Bruxelles et Washington  avant l’entrée en vigueur des sanctions américaines, qui n’interviendraient pas avant novembre. A commencer par le PDG d’Airbus, Guillaume Faury. « Les deux grands acteurs de l’aéronautique étant les Etats-Unis et l’Europe, les sanctions auront un impact négatif direct sur les Etats-Unis et l’Europe. La seule solution viable pour les deux parties est de parvenir à un accord », déclarait-il récemment  dans une interview aux « Echos » . « Nous continuons à tendre la main à nos alliés américains pour trouver une solution à l’amiable […] Mais si les Etats-Unis devaient nous imposer des sanctions, nous serions prêts à réagir dans le cadre de l’OMC », a souligné ce jeudi le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, à l’occasion du conseil économique et financier franco-allemand, à Paris.

  1. Plus à perdre qu’à gagner

Tout espoir n’est pas perdu, car les barrières douanières américaines pourraient coûter plus cher à l’industrie aéronautique américaine qu’aux Européens. Contrairement à Boeing, Airbus a en effet plusieurs sites industriels aux Etats-Unis et achète pour 17 milliards de dollars de biens aux entreprises américaines. Par ailleurs, Boeing vend plus d’avions en Europe qu’Airbus aux Etats-Unis. Enfin, si les surtaxes douanières dissuadaient les compagnies américaines d’acheter des produits européens, ces commandes envolées représenteraient aussi un manque à gagner pour les finances publiques américaines.